16
Une casserole heurta le sol. Elizabeth passa la tête au-dessus du comptoir.
— J’ai trouvé le bac à friture. Il est fermé et je ne vous conseille pas de l’ouvrir, l’odeur est épouvantable. En revanche, j’ai déniché plein de choses dans la réserve à côté. Je ferai l’inventaire, si vous voulez. J’ai repéré des boîtes de chili. On pourrait s’en chauffer une ?
Jeanne lui jeta un regard méprisant.
— Bien sûr, O’Donnel. T’as qu’à t’y coller et nous appeler quand on mange, O.K. ?
— Je croyais que vous étiez cuisinière, intervint Lenny.
— Serveuse.
— C’est pas très différent.
— Rien à foutre. Je sers personne.
La Noire s’empara d’une valise et disparut dans l’escalier.
— Elle est toujours comme ça ? demanda Tom.
Nina haussa les épaules comme pour l’excuser, puis grimpa les marches à sa suite. Lenny emboîta le pas aux deux filles en soupirant.
Cecil tira Pearl vers la sortie.
— M-moi, je reste p-pas ici. L’eau est t-toute rouge. Y a plein d’poussière. J’dis qu’on d’vrait aller dans la m-maison d’à c-côté.
— Je t’accompagne, articula Pearl.
Thomas considéra le jeune mannequin. Ses vêtements chic étaient devenus aussi ternes que son visage. Elle paraissait totalement épuisée.
— Je ne comprends pas, fit-elle avec un sourire fragile. Je n’ai pas bu tant que ça et je tiens à peine debout…
— Bah, vous ne devez pas tenir l’alcool, mentit Thomas. Allez vous reposer dans la maison voisine. Le Dr Walsh viendra vous examiner dès son retour. Promis. Je lui dirai de s’installer là-bas en compagnie de Cameron et vous. Comme ça vous serez rassurée.
Pearl acquiesça d’un signe de tête et sortit au bras de Cecil.
Thomas n’avait pas eu le temps d’allumer la clope qu’il s’était roulée tout à l’heure. Il la posa sur le comptoir, aligna son briquet à côté et entreprit d’en rouler une seconde.
L’arrêt du tabac, ce serait pour dans une autre vie.
Vector Kaminsky remit une chaise d’aplomb, cala ses fesses dessus et plaça son ordinateur sur la table.
— On crève de chaud, maugréa-t-il.
Il appuya sur le bouton de démarrage. Peter s’assit à côté et regarda l’écran s’allumer.
Lenny ne tarda pas à redescendre.
— Jeanne et Nina s’installent au premier. Elizabeth dispose d’une chambre seule. Les hommes, eux, logeront au second, ça me paraît plus correct.
Le vieux dandy sourit à l’intention de Thomas, lequel soupira et lui tendit la cigarette. Lenny l’attrapa entre l’index et le majeur, aussi délicatement que s’il s’agissait d’une libellule.
— Arrêtez ça tout de suite, dit Kaminsky sans quitter son écran des yeux.
— Pardon ?
— Reposez cette clope. C’est mauvais pour la santé. La mienne, en tout cas. (Il éteignit son ordinateur et le referma.) Bien, pas de bobo. (Il se leva et rajusta sa cravate comme s’il s’apprêtait à tenir un conseil d’administration.) Un portable à cinq mille billets, ça m’aurait fait mal aux seins. En tout cas, pas question que je reste ici.
— À toi de voir, dit Thomas.
— C’est tout vu. Mon PC supporte pas la poussière. Ni moi la fumée. Sans compter ces conneries.
— Tu peux préciser ?
— Je savais que cette histoire allait merder. Mes potes m’avaient prévenu : « Fais gaffe, Vec, la sécurité se renforce chez ShowCaine. Y a des bruits qui courent. Des gens qui menacent le show. Tu ferais mieux de te tenir à l’écart. » Mais elle a insisté : « Un access prime time à la télévision, c’est l’occasion rêvée de lancer votre boîte ! Il n’y a pas tremplin plus colossal ! » Colossal mon cul ! Le seul truc colossal, c’est le procès que je vais coller à cette bonne femme.
Thomas fronça les sourcils.
— Vous parlez d’Hazel Caine ? C’est comme ça qu’elle vous a convaincu de participer à l’émission ?
Il observa le jeune homme.
Kaminsky était un adepte du costard trois-pièces, façon golden-boy. Mais la manière dont il s’exprimait traduisait des origines plus modestes. Pas le genre à sortir de Harvard, comme il voulait le faire croire. Thomas était presque certain qu’en fouillant un peu il trouverait l’étiquette de location dans son costume, de la même façon que lui-même avait emprunté un smoking pour la réception. La cravate Omer Simpson, c’était juste un truc pour se la jouer cool. Kaminsky n’était qu’un type aux dents longues désireux d’entrer dans la cour des grands. Et son discours engendrait de curieux échos chez Thomas.
Il repensa à cette scène étrange dans la chambre d’Hazel. Sa dispute avec l’homme mystérieux sur la bande vidéo. Il n’avait pas eu le temps de voir son visage. Mais l’allure aurait pu correspondre.
— Je me casse, dit Vector. Doit bien y avoir une autre piaule moins dégoûtante. Z’avez qu’à crier, si besoin. Je serai pas loin.
Il repoussa sa chaise et sortit.
Thomas se retrouva seul en compagnie d’Elizabeth, Léonard Stern et Peter. L’enfant lui jeta un bref regard, décapuchonna son feutre et se mit à dessiner sur un bout de carton.
Tom sentit son cœur se serrer. Pas de parents, aucune distraction, une chaleur insoutenable et on ne l’avait pas entendu. Quel genre d’enfant était-il pour réagir de la sorte ?
— Ça va ? demanda-t-il doucement. Tu as faim ? Soif ?
Peter ne réagit pas. Thomas se pencha vers lui.
— T’inquiète pas, mon bonhomme. Tout ira bien.
Un long moment s’écoula avant que le gamin ne finisse par hocher la tête. Tom lui caressa les cheveux. Puis se redressa. Alla jusqu’au comptoir, posa ses mains à plat et baissa le ton pour s’adresser aux deux autres.
— Je dois vous parler…, commença-t-il.
Lenny reprit la cigarette, alluma le briquet.
— Oui ? Dites-moi tout.
— Nous ne sommes pas victimes d’un accident de la route. Plutôt d’une sorte de piège. C’est difficile à croire, je sais. Mais je peux le prouver.
Le pouce de Lenny s’éloigna du bouton. La flamme s’éteignit.
Elizabeth se redressa si vite qu’elle faillit se cogner au comptoir.
— Pas d’accident ?
— Comment ça ?
Ils scrutèrent son visage. Thomas soutint leur regard sans broncher.
— Il s’agit d’un kidnapping, dit-il.